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Lettres d'un Combattant

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Lettres d'un Combattant

A PROPOS

✦ Le 5 août 1914, Marcel Étévé écrivait sa première lettre de soldat ✦ Le 5 août 2014, elle était illustrée et les internautes pouvaient la lire ✦ Projet sur la temporalité de la guerre et la restitution de l'archive historique & culturelle ✦

DERNIERS ARTICLES

Nous continuons à recevoir de bonnes nouvelles

Nous continuons à recevoir de bonnes nouvelles. Nous plaçons cet après-midi en face des Boches une pancarte où nous annonçons les deux victoires de Champagne et d'Arras : 60 000 hommes hors de combat, 20 000 prisonniers, 30 canons pris, 300 mitrailleuses. Bien, ça. Mais est-ce suffisant pour faire une trouée? Je ne m'emballe pas encore, car ce ne serait pas la première fois que nos efforts se seraient heurtés à un mur solide.

Pour l'instant nous sommes tranquilles ici : les Boches ont enlevé devant nous presque toute leur artillerie et sans doute pas mal d'hommes aussi.

M. Étévé

http://lettresduncombattant.tumblr.com/post/130087998387

Je ne t'ai rien dit encore

Je ne t'ai rien dit encore du Petit Pierre* d’Anatole France que tu m'as envoyé. Mon Dieu, c'est bien joli. Comme toi je préfère le Livre de mon Ami où les détails me semblent plus naturellement significatifs. On sent ici un peu trop l'habileté à rendre charmantes des choses légèrement quelconques. Et puis, combien de mots en demi-teinte qui paraissent réédités d'œuvres précédentes ! Mais comme on a mauvaise grâce à chicaner des pages qui vous donnent un tel plaisir et si reposant!

Tu me parles de la « guerre à la guerre », et tu parais supposer que je puis ne pas être en cela de ton avis** . Pour quelle espèce de brute me prends-tu? Sont-ce mes petits plaidoyers en faveur des pauvres «mélétaires» qui t'autorisent à proférer de telles injures? As-tu pu croire que les soldats que je défendais étaient d'autres que les types comme toi et moi, subissant cette guerre comme la pire des catastrophes, et que j'étais avec ceux qui y voient l'emploi normal de leurs facultés?

Pourtant, s'il faut me confesser jusqu'au bout, peut-être suis-je pour quelque chose dans ta méprise. Pendant quelque temps, en effet, j'ai tenté, à moitié consciemment, de me monter le bourrichon et de me faire, dans une certaine mesure, une mentalité ad usum mililis. Mais ce n'était pas sérieux, et je n'ai jamais eu grande confiance en cet expédient. Je n'ai décidément pas la haine requise.

Et j'ai pris le parti de ne pas m'en inquiéter, sachant que je n'ai pas besoin de cet excitant, à commencer par le bas, j'aurai, certes, chaque fois qu'il faudra taper dur et cruellement, la griserie aveugle du combat, et c'est beaucoup. En remontant un peu l'échelle des motifs, j'aurai aussi l'amour propre, la tenue nécessaires ; et voilà déjà de quoi agir. Enfin, même d'un point de vue plus intellectuel, j'aurai conscience d'accomplir une besogne nécessaire et de participer, dès cet instant, à la « guerre à la guerre ». Et ainsi cela peut aller.

M. Étévé

* Paru dans la Revue de Paris, en 1914-1915.
** Après avoir reçu la lettre du 15 septembre, René M… lui écrivait : “Cette note dont lu me parles du général commandant l'armée me laisse rêveur. Je me demande si notre rôle ne sera pas d'attiser, plus encore que la haine de l'étranger, la haine de la guerre; — il est possible que sur ce point tu ne sois pas d'accord avec moi. C'est sur cette idée de « la guerre à la guerre » — Un mot, peut-être, mais un bien beau mot — que je compte surtout attirer l'attention de mes élèves. »

http://lettresduncombattant.tumblr.com/post/129991334924

Ici la vie coule monotone

Ici la vie coule monotone et sans accidents : il pleut et la boue commence à régner dans les boyaux.

Je n'ai guère de travail à surveiller, mes hommes creusant sous la direction du génie. Aussi je fais de la photo. Nous avons installé une chambre noire idéale dans l'énorme carrière où gîte la compagnie. Cette carrière a des ramifications innombrables et mystérieuses : hier, pour retrouver notre cul-de-sac-chambre- noire, nous avons mis plus d'une heure, à nous perdre, transportant nos cuvettes et notre lanterne rouge improvisée; enfin nous avons trouvé, et j'ose dire que nous avons fait du beau travail : tu pourras en juger toi-même.

Nous avons suspendu, à l'entrée de notre petite grotte de commandement, un superbe hamac fabriqué par Pastré*, un Argentin, maréchal des logis de liaison, qui nous a dotés encore d'un beau fauteuil de jardin, fait avec des bouts de bois et du treillage. Ce pourquoi je l'appellerai « le maréchal-des-logis-ingénieux-et-argentin** ».

Il y a quelque chose dans l'air depuis quelques jours : en voici trois que l'aumônier (excellemment renseigné comme tous les bons pères de la compagnie de Jésus) m'a annoncé une offensive. Ce matin, le colonel commandant la brigade est venu nous lire un télégramme de sans-fil, disant deux victoires en Champagne et en Artois ; il nous a prédit en outre le déclenchement par rupture du front boche. Son optimisme m'a paru bien absolu, mais enfin… attendons, et préparons-nous à bourrer. Sa grande peur est que les Boches nous faussent la politesse et abandonnent nos tranchées sans que l'on s'en aperçoive : cela me paraît peu probable…. Attendons….

M. Étévé

*Tué en Champagne le 16 avril 1917.
** A la façon de Kipling.

http://lettresduncombattant.tumblr.com/post/129922856295

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